Apprendre à naviguer

PAR VOILESDOC - LE 22/03/2022
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Nul besoin de se soumettre à un long apprentissage pour profiter des joies de la navigation. Nous avons accompagné Céline et Michèle pour une sortie découverte en baie d’Aigues-Mortes à bord du Hanse 370 de Voiles d’Oc. Soit quelques heures de déconnexion, d’échange et de rires autour du plaisir d’être en mer.

Il n’y a pas de caméra de recul?» Céline est à la barre depuis quelques se- condes et plaisante déjà. Elle guide le Hanse 370 en marche arrière entre deux pannes et ne semble pas du tout impressionnée, rassurée sans doute par la présence d’Hervé. Le skipper formateur se tient à côté d’elle mais ne lui donne pas de directives précises, se contentant de lui signaler quelques indices. «Tu vois les rides sur le plan d’eau, un peu plus loin ? On va avoir le vent qui va entrer en scène, il faudra donc en tenir compte.» Michèle, debout dans le cockpit, observe le plan d’eau et déduit : «Le vent va nous pousser par là.» Sous l’œil bienveillant du chef de bord, Céline effectue tranquillement son «créneau» pour repartir en marche avant, en direction de la sortie. La ca- pote de descente la gêne pour bien voir devant ? Elle grimpe, pose un pied sur chaque banc de part et d’autre de la barre, et continue de piloter ainsi per- chée, en toute décontraction. Les deux passagères du jour ont ef- fectué seules toutes les manœuvres de départ – ouvrir la housse de grand- voile, démarrer le moteur, larguer les amarres, sortir le monocoque de sa place entre le quai et le ponton E du port de La Grande-Motte. Pourtant, ce n’est que leur deuxième sortie en voilier et la précédente remonte à l’été dernier, sur ce même bateau. Mais Hervé a pris soin au début de la séance de les questionner sur ce qu’elles en attendaient. Pour Céline, jeune maman et entrepre- neuse de 31 ans, il s’agit d’abord de déconnecter et de sortir de sa zone de confort. Michèle, coach profession- nelle, vit à La Grande-Motte depuis trois ans et souhaite profi ter davantage de la mer. Mais, prévient-elle, à 55 ans, l’idée d’apprendre à manœuvrer un bateau pour accéder à l’autonomie ne l’intéresse pas, elle souhaite simple- ment s’offrir un moment de pause, de découverte et de sensations. Bref, leur motivation n’est pas technique, l’ap- prentissage pas une priorité. Hervé l’a noté et en tient compte pour concoc- ter le menu du jour. Pour autant, pas question de ne leur servir qu’une ba- lade en mer en simples passagères : il va les laisser agir et prendre des initiatives, avec pour seule consigne de communi- quer entre elles le plus possible.

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En action. Prendre la barre dès le départ : l’idée est d’être tout de suite impliquée.

 

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Faire, ensemble. Le skipper les guide mais il intervient le moins possible.

La douce petite brise prévue pour ce début d’après-midi a pris du galon : 19 nœuds à l’anémomètre, et nous sommes encore dans le port. Le thermique de Sud-Est est déjà là, et plus soutenu qu’annoncé. Hervé fait une petite grimace à mon inten- tion mais ne laisse rien transparaître de cette contrariété. Il annonce : «Il y a plus de vent que prévu, cela ne nous inquiète pas, mais on va mettre moins de toile.» La grand-voile sera hissée à deux ris et le gennaker, déjà à poste, restera enroulé au profit de l’autre petite voile d’avant. Le voilier Hanse est équipé d’un solent autovireur et cela va nous simplifier la vie. Il est en- tendu que sauf en cas de besoin, je ne toucherai à rien, et Hervé participera le moins possible. «Maintenant, vous n’êtes que deux, dites-moi comment vous faites», lance Hervé. «Déjà, on a encore les pare-bat’», remarque Michèle. Bien vu. Pour la suite, Céline propose: «On accroche la barre.» Elle n’est pas loin. Hervé leur montre comment mettre en route le pilote au tomatique, en restant bout au vent. «C’est quand la flèche de la girouette est au milieu des deux carrés», se souvient Céline. Mi- chèle se porte volontaire pour aller

 

Rigolade. Une après-midi de voile qui n’engendre pas la mélancolie !ri 8

 

sur le pont, elle passe sa longe de har- nais autour du mât avant de tirer sur la drisse de grand-voile. Pour les derniers mètres, Hervé expli- que à Céline, au winch, comment uti- liser le poids de son corps pour avoir plus de force. Puis la manœuvre termi- née, il leur montre comment lover un cordage, les bras grands ouverts. Tout cela avec le sourire, le ton docte du pro- fesseur n’est pas d’usage à bord. Moteur coupé, sous grand-voile seule, le voilier fait route plein Sud, vers Minorque. C’est tout à fait maniable. Et si l’on envoyait la petite voile d’avant ? Mais d’abord, le skipper envoie à l’avant les deux navigatrices, avec pour mission de regarder comment ça marche et de revenir avec une proposition de mé- thode pour dérouler le solent. Il ne leur faut pas bien longtemps pour trouver la solution. En revanche, la réalisation de la manœuvre est plus lente, mais peu importe : personne ici n’est pressé, inutile de se bousculer.

 

FAIRE RESSENTIR PLUTÔT QU’EXPLIQUER

Au tour de Michèle de prendre la barre. Hervé lui demande simplement de sentir ce qui se passe lorsqu’elle se rapproche du vent ou s’en éloigne. De ressentir comment le bateau se com- porte, comment ses mouvements dans la mer sont modifiés. D’observer la sensation du vent sur son visage, les appuis sous ses pieds. Les yeux ou- verts, puis les yeux fermés. Pas de le- çon de vocabulaire (lofer, abattre) ni de topo sur les allures, le près, le bon plein. Juste des sensations. «On se fiche de savoir si l’on est à 32 ou 33 degrés du vent, ou de gagner un demi-nœud de vi- tesse», explique Hervé. Ce qui compte, c’est le plaisir que l’on a à être sur l’eau. On navigue au travers, le long de la plage du même nom, et l’on croise d’autres voiliers qui profitent eux aussi de ce bon vent pour honorer ce jeudi de printemps déconfiné. Michèle est en confiance, concentrée mais détendue, elle semble vouloir savourer chaque seconde de cette sortie. Après trente ans à travailler comme infirmière et cadre en milieu hospitalier, cette solide femme à la chevelure blonde et bouclée s’est for- mée au coaching pour accompagner les professionnels de santé dans la gestion d’équipes et le management, ou pour du coaching individuel. «Mon outil de travail, c’est moi, et je dois m’ac- corder des moments de pause, des temps pour me reconnecter à moi et aux autres.» C’est elle qui a proposé à Céline de l’accompagner, pour une après-midi en duo dans le cadre de leur adhésion au cercle «Bouge ta boîte», un réseau d’entrepreneurs au féminin.

 

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Facile. Même novices, Céline et Michèle auront assuré seules toutes les manœuvres.

 

PARTAGER ET DONNER CONFIANCE

Le vent a molli un peu, on renvoie un ris et on abat. «Tu vises la quatrième mouette à gauche», indique Hervé. Entre deux observations – «On voit le Canigou !», s’écrie Céline – nous pio- chons des bonbons dans la boîte ap- portée par la jeune organisatrice de mariages (on dit «wedding planner», en bon français). Et alors que cette dernière, de nouveau aux commandes, nous épate par sa façon si naturelle de barrer et sa jovialité, nous nous racontons un peu nos vies. «Ce que j’aime dans le bateau, c’est qu’il se passe quelque chose de l’ordre de l’intime», analyse Michèle un peu plus tard dans l’après-midi. «On ne joue pas de rôle, et on doit aussi être attentif aux autres, parce qu’on a envie que ça se passe bien.» Un constat confirmé par Hervé, qui l’a souvent observé dans les équi- pages qu’il emmène naviguer. «Je ne demande jamais à celui qui sait d’aider les autres ou de prendre en charge des débutants, mais cela se fait presque toujours spontanément, il y a une bienveillance naturelle.» Un mot à la mode, mais qui résume bien la méthode de cet ancien horticulteur reconverti à l’école de croisière : «L’essentiel pour moi, ce n’est pas la technique, c’est de leur donner des outils pour qu’ils soient en confiance.» A Voiles d’Oc, l’apprentissage de la voile se fait donc sans cadre formel ni niveaux prédéfinis, mais avec une progression adaptée aux besoins de chacun. «On ne peut pas rester dans la baie indéfiniment. Quand tu as envoyé la grand-voile, pris des ris et fait des virements de bord, tu as compris, tu ne vas pas le refaire trente fois, il faut aller un peu plus loin. Je commence donc avec des sorties par demi-journée et journée, et très vite je mets en place des mini-croisières de deux ou trois jours, avec trois ou quatre personnes au maximum, puis des croisières d’une semaine. Et cela me fait plaisir lorsqu’au bout d’un moment ils me disent : “Hervé, je me suis lancé, j’ai loué un bateau pour cet été.”» 17 heures 30, on referme la boîte de bonbons. Retour au port, Michèle à la barre, Céline aux amarres. La manœuvre est réussie, avec un petit coup de pouce discret d’Hervé, mais sans une once de stress. L’amarrage terminé, on s’accorde encore quelques minutes pour un rapide débriefing, histoire de vérifier que chacune et chacun a trouvé ce qu’il ou elle était venu chercher. Mi- chèle et Céline n’avaient pas d’objectif de progression technique, il n’empêche qu’elles auront tout fait presque seules au cours de ces trois heures et demie de navigation. Elles reviennent avec la satisfaction d’avoir appris des choses en se faisant plaisir, d’avoir par- tagé cette expérience et ces sensations, d’avoir totalement déconnecté. Et avec l’envie d’y retourner.

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